Colloque Capitant

 

Les réformes du droit des contrats et des sûretés dans l'Océan indien.

Un vent de réforme souffle sur les droits des pays de l'Océan indien, comme nous l'ont montré ces riches journées d'études, si bien organisées sur le plan scientifique comme convivial, et je profite de l'occasion pour remercier Madame le juge Cheong et mon collègue Jean-Baptiste Seube pour m'y avoir aimablement convié. Dans ces terres semblant bénies par les dieux, si le vent est alizé qui rafraichit les hommes et arrose les cultures, il peut aussi être cyclone qui dévaste tout sur son passage... Ambiguïté si merveilleusement évoquée par le grand écrivain mauricien Malcom de Chazal dans un des fulgurants aphorismes dont il avait le secret:

« Nuages bas servent de presse-papier au vent.

Le nuage est un parapluie que baleine le vent. »  

Faut-il dès lors se féliciter de ce vent de réforme ?  L'interrogation mérite sans doute d'être tranchée de manière préliminaire.

 L’air de l’immobilisme législatif a été joué sur tous les tons, depuis des lustres, de par le monde, comme peut en témoigner un petit florilège, nécessairement incomplet.

La voix grave de la sagesse grecque : L’anecdote est rapportée par Hérodote qui nous raconte le procédé retenu par Solon, pour garantir l’autorité des lois qu’il faisait adopter : il partait en voyage pour dix ans. « La curiosité était la raison avouée de son voyage ; en réalité, il ne voulait pas être contraint d’abroger l’une ou l’autre des lois qu’il avait établies. A eux seuls, en effet, les Athéniens n’avaient pas le droit de le faire, obligés qu’ils étaient, par des serments solennels, à observer pendant dix ans les lois que Solon leur donnerait »  . Démosthène, lui, cite avec une admiration visible, un usage locrien, propre à refroidir toute volonté réformiste : « Quiconque propose une loi nouvelle le fait la corde au cou. La proposition parait-elle louable et utile, l’auteur se retire, la vie sauve. Sinon, on serre la corde, et c’est la mort »  .

 La petite voix fleurie, ironique mais profonde de la philosophie chinoise également : le Maître, Lao-Tseu naturellement, nous dit, « On régit un grand Etat comme on fait frire un petit poisson »  . Que veut-dire ainsi le Maître ? Comment fait-on frire un petit poisson ? La réponse nous paraît naturelle, ici, à l'île Maurice dont le si riche art culinaire repose sur la préparation du poisson. On fait frire un petit poisson en le secouant le moins possible. On gouverne un grand Etat en adoptant le moins de lois nouvelles possibles.

 Il y a aussi la rengaine universelle de la facilité, la force tranquille de la paresse. Planiol notait malicieusement que si beaucoup de ses collègues sont hostiles aux réformes, c’est sans doute parce qu’ils n’ont guère envie de refondre leurs cours qu’ils répètent à l’identique depuis de nombreuses années  .

 Enfin, il y a la voix de la sagesse classique. La belle voix claire, profonde, mesurée, celle de Portalis. « Ne nous y trompons pas, citoyens législateurs, une nouveauté hardie n’est souvent qu’une erreur brillante dont l’éclat subit ressemble à celui de la foudre qui frappe le lieu même qu’elle éclaire. Gardons-nous de confondre le génie qui crée, avec l’esprit novateur qui bouleverse ou dénature »  .

Portalis, et comme en écho, par delà les siècles, cette voix au timbre fluet mais d’élégance tout aussi classique, Carbonnier bien sûr, qui insuffle le doute : « Sur toutes les œuvres de la législation, l’ange a jeté un doute ineffaçable, laissant entrevoir aux peuples le royaume nouveau où il n’y aura plus de lois »  .

Des voix éparpillées pourtant réunies en un chœur unanime. La cause est-elle entendue ? Toute réforme, toute réforme du droit civil est-elle un mal à éviter ?

Non. La réforme du droit civil est indispensable.

Le droit civil est au cœur de l’humain, accompagne l’homme depuis avant sa naissance jusqu’après sa mort, accompagne l’homme dans les actes plus simples de son quotidien comme les plus importants de son existence : acheter, vendre, louer, garantir… Dès lors, le droit civil ne peut rester insensible aux progrès techniques comme aux évolutions sociologiques de la société dans lequel il s’inscrit.

S’adapter ou mourir. Seules des réformes peuvent permettre de maintenir vivant le droit civil. L’enjeu est d’autant plus fondamental que le droit civil constitue la matrice du droit, irrigue les autres subdivisions du droit privé, voire du droit dans son ensemble. Comme l'observait une fois encore Portalis, « De bonnes lois civiles sont le plus grand bien que les hommes puissent donner et recevoir »  … Que la sève s’assèche dans le tronc et les branches s’étiolent, les fleurs se fanent.

Le principe des réformes du droit des contrats ou du droit des sûretés dans les pays de l'Océan indien, en cours ou en projet, qui ont fait l'objet des ces deux journées d'études, nous semble donc devoir être approuvé.

Au delà, il est frappant de constater, après avoir entendu l'ensemble des passionnantes interventions de ces deux journées d'études, que si le vent de ces réformes peut sembler une simple brise traditionnelle (I) il peut aussi et surtout se faire souffle nouveau (II).

  

I) Une brise traditionnelle :

 Les réformes entreprises dans la zone s'inscrivent délibérément dans la continuité de celles déjà menées, qu'il s'agisse du maintien d'une recodification progressive (A) ou de la conservation d'un style législatif traditionnel (B).

 A) Le maintien d'une recodification progressive :

 Dans le droit fil des réformes déjà entreprises, les différents pays de la zone Océan indien ont choisi de réformer leur droit des contrats et leur droit des sûretés matière par matière, rejetant une recodification globale de l'ensemble du droit civil.

Ce choix n'est pas partagé par l'ensemble des pays du monde. Certains ont préféré opérer une recodification globale de leur droit civil, intervenue ces dernières décennies: les Pays-Bas ont substitué à leur Code civil de 1838 devenu obsolète un nouveau Code civil, le NBW, entré en vigueur pour l’essentiel le 1er janvier 1992  ; le Québec a remplacé le Code civil du Bas-Canada de 1866, dominé par l’idéologie libérale et l’influence du catholicisme, par un Code civil du Québec entré en vigueur le 1er janvier 1994  ; le Brésil a également adopté un nouveau Code civil en 2002  ; la Roumanie en 2011; l'Argentine en 2015, pour se limiter à quelques exemples.

 On ne peut que regretter que les pays de l'Océan indien n'aient pas choisi cette voie d'une recodification globale, qui permet de garantir la cohérence et l'unité d'un code. Mais une recodification globale exige une forte volonté politique, indispensable pour porter à terme des travaux législatifs d'une telle ampleur. Elle nécessite également un processus législatif qui s'étale sur de nombreuses années, risquant de s'enliser pour ne jamais aboutir  .

Dès lors le choix retenu par les pays de la zone Océan indien d'une réforme ponctuelle, matière par matière, semble sans doute celui de la sagesse. Qui trop embrasse mal étreint...

 Reste à s'interroger sur le domaine précis des réformes en cours: pourquoi le contrat ou les sûretés ?

Sans doute parce que d'autres pans du droit civil, dans lesquels une réforme paraissait plus urgente, ont déjà été rénovés. Tel est par exemple le cas du droit de la famille. Les évolutions sociologiques, l'émancipation de la femme et des enfants ne pouvaient se satisfaire du modèle du paterfamilias romain, qui dominait encore le droit de la famille de bon nombre de pays au mitan du XX ème siècle.

Il est superfétatoire de rappeler que le droit français de la famille a ainsi été réformé par neuf lois adoptées entre 1964 et 1977  , les « neuf soeurs », selon la jolie expression de leur géniteur, le doyen Carbonnier  .

A Madagascar, le droit extra-patrimonial et patrimonial de la famille a également été réformé par plusieurs lois successives adoptées à partir d'une ordonnance de 1962 réformant le mariage.

Enfin, le droit mauricien de la famille a lui aussi été rénové avec succès dans les années 1980 sous l'influence de notre collègue aixois Robert-Louis Garron.

 L'heure semblait alors venue d'une réforme du droit des contrats et des sûretés.

On peut relever de manière préliminaire que la concomitance des réformes de ces deux matières ne relève pas du hasard, unies qu'elles sont par l'obligation dont le mécanisme constitue l'alpha et l'oméga du contrat comme de la garantie.

La réforme de ces matières semble d'autant plus nécessaire qu'elles s'inscrivent au coeur de la vie économique qui subit de plein fouet les évolutions techniques et politiques de notre monde d'aujourd'hui. Les progrès scientifiques, la mondialisation des échanges bouleversent au premier chef contrats et sûretés. On ne peut conclure un contrat par Internet comme on pouvait le faire sur un marché à bestiaux ou dans une usine sucrière du XIXème siècle. Un débiteur ne peut garantir sa dette en 2015 comme il pouvait le faire en 1804.

 Ce choix d'une recodification progressive s'attachant aujourd'hui aux contrats et aux sûretés s'inscrit ainsi dans la continuité des réformes déjà menées, continuité qui caractérise également le style dans lequel elles se coulent.

 B) La conservation d'un style législatif traditionnel : 

Les réformes du droit des contrats et des sûretés entreprises ou en projet dans la zone Océan Indien se sont coulées dans un style législatif traditionnel, comme on pu le relever les intervenants français, malgaches ou mauriciens.

En droit français par exemple, les réformes du droit de la famille inspirées par le doyen Carbonnier ont assuré une « révolution tranquille du droit civil contemporain »  , marquée par la fidélité au Code civil, qui a servi de moule pour la réforme du droit des sûretés et le projet de réforme du droit des contrats.

Fidélité d'abord à la lettre du Code civil: l'ordonnance du 23 mars 2006 portant réforme du droit des sûretés comme le projet d'ordonnance réformant le droit des contrats s'inscrivent délibérément dans la structure même du Code civil. Le plan général du Code comme sa numérotation sont sauvegardés. La langue du Code, merveilleux équilibre entre l’abstraction et la précision, est autant que faire se peut conservée. On retrouve par exemple dans le projet d'ordonnance réformant le droit des obligations ces formules ciselées qui frappent l’imagination par leur force d’évocation poétique, comme peut le faire l'article 1134. Ainsi, l'article 1171 du projet d'ordonnance dispose avec élégance : « Le contrat est parfait par le seul échange des consentements des parties. » 

Fidélité également à l'esprit du Code civil, les réformes étant habité par le même souci de compromis qui a permis son succès, non pas compromis par paresse intellectuelle ou manœuvre politicienne mais compromis construit, réfléchi, fondé. Par exemple, le projet de réforme du droit des contrats s’efforce de combiner les idéologies centripètes qui menacent la cohérence du droit des obligations, en particulier solidarisme et libéralisme.

A Madagascar, certes la loi du 2 juillet 1966 relative à la théorie générale des obligations n'a pas été incorporée à la structure du Code civil hérité de la France, mais son style  en demeure inspiré, comme peut en témoigner entre autres exemples son article 1er définissant l'obligation avec  élégance et concision : « L'obligation est un lien de droit en vertu duquel le débiteur est juridiquement tenu envers le créancier de lui fournir une prestation ou de s'abstenir d'une faculté, prestation ou abstention dont il est responsable sur la valeur des éléments d'actifs qui composent son patrimoine.  ». Tout est dit, avec une économie de mots qui contraste singulièrement avec la prolixité désordonnée des législateurs contemporains. Les mêmes remarques auraient pu être formulées à propos de la loi n° 2003-41 relative aux sûretés, et en particulier les définitions qu'elle propose.

 L'île Maurice, tiraillée entre civil law et common law, a aussi choisi de réformer son droit des sûretés ou son droit des contrats par une intervention législative, n'abandonnant pas l'évolution de matières aussi fondamentales au seul pouvoir du juge.

Dans leur forme, en particulier leur plan ou leur langue, les textes ou projets mauriciens traduisent davantage une influence du droit continental que de la Common law. Il semble que si les lois spéciales portent portent de plus en plus la marque du droit anglo-saxon, les réformes proposées pour le Code civil demeurent fidèles à son style législatif, que la Law reform commission a su merveilleusement préserver. La limpidité des projets qu'elle propose n'a d'égale que celle des eaux cristallines du lagon mauricien.

 Cette brise traditionnelle qui berce les réformes du droit des contrats et du droit des sûretés sait aussi se faire souffle nouveau.

 II) Un souffle nouveau :

 Ce souffle nouveau vient d'une diversification des influences (A) et de l'émergence de préoccupations nouvelles (B).

 A) La diversification des influences :

 Les pays de la zone Océan indien restaient traditionnellement marqués par l'influence du modèle juridique français, en particulier du Code civil de 1804.

L’année 2004 a été l’occasion de célébrer le bicentenaire de notre Code dans une certaine unanimité festive, certains collègues français ou étrangers, emportés par leur francophilie, nous entretenant dans l’illusion d’un Code civil français qui resterait le modèle  , la source d’inspiration pour le droit civil de nombreux pays du monde  . L'euphorie des fêtes qui ont accompagnées ces célébrations une fois dissipée, la réalité  est malheureusement apparue fort différente. En raison de la mondialisation et de la volonté d'une harmonisation des droits dans les pays européens, le modèle juridique français est aujourd'hui concurrencé jusque sur ses propres terres.

Ainsi, l'ordonnance portant réforme du droit français des contrats s'inspire très directement des Principes du droit européen des contrats élaborés par la Commission Lando. Plusieurs textes en constituent une reprise presque mot pour mot, mais l'exemple sans doute le plus emblématique reste la disparition annoncée de la cause, symbole de la tradition juridique française depuis Domat, effacée d'un trait de plume du législateur au nom d'une hasardeuse harmonisation européenne, alors pourtant que bon nombre de droits d'Europe conservent cette subtile mais précieuse notion, que de nombreux pays du monde nous ont emprunté, spécialement l'île Maurice et Madagascar.

A Madagascar, le droit français n'est plus le modèle exclusif. La loi relative à la théorie générale des obligations a consacré des mécanismes absents du Code civil français, comme par exemple l'obligation naturelle (art. 48 et s.), la représentation (art. art. 132 et s.), l'engagement unilatéral de volonté (art. 197 et s.) ou l'enrichissement sans cause (art. 255 et s.). La loi 2003-41 de 2004 réformant les sûretés  indique elle-même dans son exposé des motifs qu'au delà du Code civil français, d'autres modèles ont servi de source d'inspiration, comme le droit OHADA, le Code civil du Québec ou l'Uniform commercial code américain. La cession fiduciaire inscrite aux articles 80 et s. porte d'ailleurs clairement la marque du droit anglo-saxon et l'abandon de la vision romaine du droit de propriété encore inscrite dans notre article 544 du Code civil.

Le droit mauricien caractérisé par sa mixité due à la riche histoire de l'île, a facilement incorporé dans sa réforme des sûretés des mécanismes importés du droit anglais, comme par exemple le floating charge, qui se présente schématiquement comme un droit « flottant » sur une universalité de biens appartenant au débiteur et se « cristallisant » sur les biens objets de ce droit en cas de défaut de paiement du débiteur. Les floating charges coexistent ainsi avec les hypothèques héritées du Code Napoléon.

La diversification des influences favorise parfois, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le retour de mécanismes coutumiers traditionnels que le Code civil inspiré du modèle français avait occultés.

Ainsi la réforme malgache des sûretés a choisi d'introduire le fehivava, prêt d'argent garanti par la remise de l'immeuble engagé au créancier féhivaviste qui en jouit jusqu'à l'époque du remboursement (art. 206). D'autres auteurs ont pu le rapprocher d'une vente à réméré ou d'une antichrèse, ce qui a pu faire dire à l'anthropologue et juriste Max Verbier qu'il était un « mystérieux hybride juridique »  .

De même, la loi sur la théorie générale des obligations a ménagé le fiavan, la solidarité sociale. Le contrat, quand il n'est pas conclu, ne doit pas briser les relations sociales: la rupture des pourparlers pré-contractuels n'entraine pas automatiquement la responsabilité de celui qui en est à l'origine.

Au delà de la diversification des influences, le souffle nouveau vient également de l'émergence de préoccupations nouvelles.

 

B) L'émergence de préoccupations nouvelles :

Les réformes menées à bien ou en cours dans la zone Océan indien sont dominées par deux traits fondamentaux, le souci d'une plus grande efficacité économique et la volonté de protéger la partie faible.

Le souci d'une plus grande efficacité économique s'explique aisément dans un environnement où la concurrence s'est renforcée. L'ombre des rapports Doing Business de la Banque mondiale, aussi contestables soient-ils, plane sur les réformes législatives entreprises. 

Ainsi, par exemple, en droit français, la jurisprudence Canal de Craponne prônant l'intangibilité d'un contrat dont l'équilibre a été bouleversé par les circonstances économiques n'est plus défendable dans un monde instable et gène la conclusion de contrats de longue durée. Le projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats envisage d'introduire l'imprévision, permettant au juge de résoudre un contrat devenu déséquilibré (art. 1196 du projet).

L'efficacité économique habite également le droit malgache, comme en témoigne la loi relative à la théorie générale des obligations. Par exemple, afin d'éviter les hésitations que connaît le droit français, sources d'insécurité juridique, ce texte prévoit que le contrat entre absents est réputé conclu au lieu et au moment de réception de l'acceptation (art. 83), consacrant ainsi explicitement la théorie de la réception.

Le souci d'efficacité économique domine également le droit des sûretés des différents pays de l'Océan indien. Les textes ou projets s'efforcent de promouvoir des garanties les plus souples possibles afin de s'adapter au mieux au besoin de crédit de chacun des acteurs de la vie économique.

Par exemple, le droit mauricien, sensible à l'importance de la place financière que constitue Port-Louis, n'hésite pas à favoriser les banquiers, par exemple en leur octroyant le privilège spécial au profit des banques inscrit dans l'article 2150-1 du Code civil.

Nous avons également pu constater que les droits des créanciers privilégiés étaient parfois différés voire sacrifiés pour permettre la survie d'une entreprise en difficulté. 

Ce souci d'efficacité économique n'est pas incompatible avec la protection de la partie faible. Les différents pays de la zone ont su inscrire dans leurs droits ou projets d'autres valeurs que la simple valeur marchande.

L'autonomie de la volonté, dominante au XIX ème siècle, repose sur la liberté et l'égalité des individus, mais cette liberté et cette égalité restent théoriques. Les contractants n'ont pas la même force économique et le contractant le plus puissant peut dicter sa loi au plus faible. Comme a pu le dire de manière cinglante Lacordaire, « entre le fort et le faible, c'est la liberté qui asservit et la loi qui libère. » Les différents lois ou projet réformant le droit des contrats et le droit des sûretés dans la zone océan indien sont habités par ce souci de protéger le faible.

Le projet d'ordonnance portant réforme du droit français des contrats nous semble à ce titre emblématique. Influencée par le solidarisme contractuel, il a érigé la bonne foi en principe général, l'article 1103 futur du Code civil, inséré dans un chapitre consacré aux dispositions préliminaires, édictant que « Les contrats doivent être formés et exécutés de bonne foi. » Dans le même esprit, ce texte prévoit de réputer non écrite la clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (art. 1169). Cette intrusion des clauses abusives dans la théorie générale du contrat constitue une incontestable influence de l'idéologie consumériste de protection du faible sur le droit commun des obligations.

En droit des contrats, cette protection de la partie la plus faible est sans doute moins marquée dans les autres pays de l'Océan indien : à Madagascar car la loi date de 1966, époque où cette idéologie solidariste était encore embryonnaire, à Maurice car l'avant-projet de réforme ne propose que des protections ponctuelles de la partie faible, hésitant à accorder un rôle général à la bonne foi. 

Toutefois, le juge a déjà anticipé ces évolutions. Ainsi, « le juge malgache est sentimental de nature », comme a pu le dire notre collègue Ramarolanto, reflet de la devise inscrite sur les palais de justice de la grande île, qui érige le juge en protecteur des faibles et des opprimés.

Mais on trouve une trace prégnante de cette idéologie dans les textes malgaches ou mauriciens relatifs aux sûretés. Confronté à l'éternel dilemme de la matière, faciliter le crédit tout en protégeant le garant, la balance semble aujourd'hui équilibrée, la protection de la caution profane apparaissant en particulier comme un impératif fondamental.

Les débats passionnants et passionnés autour de l'exigence d'une mention manuscrite dans le contrat de cautionnement en droit mauricien ont montré que le souffle des réformes est parfois tsunami au sein des professions juridiques voire bourrasque dans la société.

Qu'il s'agisse du Code civil français, du Code de la consommation français, de la loi malgache sur les sûretés, du projet malgache de Code de la consommation ou du Borrow protection Act mauricien, les techniques de protection de la caution profanes sont voisines: mention manuscrite, information, recours au standard de la proportionnalité. Mais leur application variable tient naturellement compte de la diversité sociologique de chaque pays. 

Le vent des réformes du droit des contrats et des sûretés dans les pays de l'Océan indien est décidément plus fort qu'un traditionnel alizé, il constitue bien un souffle nouveau.

Permettez-moi de revenir un instant au bord de la Méditerranée, ses rivages eux aussi parfois balayés par le vent, qui faisait si joliment écrire à Paul Valéry dans Le cimetière marin, « Le vent se lève... Il faut tenter de vivre »  .

Ces réformes du droit des contrats et des sûretés ne pourront s'acclimater et s'épanouir que si elles sont portées par les praticiens, avocats, magistrats, notaires, avoués, juristes d'entreprise, que je suis heureux de voir si nombreux à ces journées d'études, témoignage éloquent de leur éclatant succès...

Alors, bon vent aux réformes du droit des contrats et des sûretés dans la zone océan indien.

  

Rémy Cabrillac

Professeur à la Faculté de droit de Montpellier (Université de Montpellier)